Le soutien de la BCE ne suffit pas à rendre véritablement attractif le marché européen selon Frédéric Rollin, Pictet AM.
Dans quelle mesure les initiatives annoncées par la BCE le 5 juin vont-elles changer la donne sur les marchés ?
La première conséquence des actions entreprises par la BCE est la dépréciation de l’euro, qui devient ainsi une devise idéale pour le carry trade, c’est-à-dire une devise peu chère à l’achat que l’on peut revendre pour acquérir des actifs au rendement plus élevé : autres devises, actions, etc. La situation favorise un regain d’appétence pour le rendement dans la mesure où celui-ci s’amenuise en zone euro, avec un taux d’intérêt 10 ans de 1,70% pour la France et de 1,40% pour l’Allemagne. L’euro a déjà vu sa valeur baisser de 1,39 à 1,35 dollars entre début mai et début juin et le phénomène peut se poursuivre étant donné la détermination de la BCE à prendre d’éventuelles nouvelles mesures et celle de la Fed à poursuivre son tapering.
Les marchés actions émergents, sensibles au niveau des taux des pays développés, les actions versant des dividendes élevés et stables comme les sociétés actives dans les services aux collectivités (utilities) vont particulièrement bénéficier de cette quête de rendement et de l’espoir que la situation économique s’améliore à moyen terme. En effet, si le contexte général est plus favorable qu’il ne l’a été juste après la crise financière, notamment grâce au soutien de la BCE aux banques européennes et à l’amélioration des déficits budgétaires, le risque de déflation demeure. Le lent processus de réduction des bilans des établissements bancaires associé aux baisses des salaires dans les paus du sud de la zone euro contribuent à la morosité économique et à la déflation. Il faudra donc attendre avant de retrouver une croissance solide.
L’action de la BCE suffira-t-elle à endiguer la déflation ?
Les mesures annoncées sont positives, mais le fait d’abaisser le taux de dépôt en territoire négatif n’incitera pas suffisamment les banques à prêter à l’économie si celles-ci doivent parallèlement continuer à réduire leurs bilans. Les banques font davantage face à la nécessité de réduire leurs bilans qu’à la difficulté de se financer. La BCE a conscience de cet état de fait et réfléchit à la mise en œuvre d’achats d’actifs hypothécaires titrisés – ABS ou asset backed securities – afin de réorienter la capacité de financement des banques vers l’opération de TLTRO.
Quoi qu’il en soit, les pays du sud de l’Europe (Espagne, Portugal, Italie, Grèce) sont particulièrement à même de bénéficier des actions prises par la BCE dans la mesure où ce sont leurs banques qui ont le plus besoin d’incitations. Les performances boursières reflètent d’ailleurs la situation. Toute la zone euro devrait cependant en profiter, même si son économie demeure fragile.
En outre, la consolidation de la reprise américaine en dépit d’un premier trimestre décevant et les premiers effets des relances monétaire et budgétaire en Chine laissent espérer une amélioration de la situation économique mondiale dont la zone euro devrait également bénéficier.
Comment abordez-vous les différents marchés actions européens ?
Sur l’ensemble des places boursières du monde, un phénomène de convergence des valorisations est en cours. Les marchés les plus performants en 2013 laissent la place à d’autres. Par exemple, le Dax ralentit quelque peu tandis que les marchés d’Europe du sud se reprennent nettement. Le FTSE MIB, l’indice de la Bourse de Milan, progresse notamment de 19% depuis le début de l’année. S’il existe probablement encore un peu de force dans ce processus de rattrapage, l’essentiel a déjà été effectué. De même, les écarts de taux se sont normalisés : le taux italien à 5 ans ressort à 1,30% contre 0,60% pour le taux français. Cette convergence peut encore se poursuivre, a fortiori sur les marchés émergents, actifs à la fois décotés et rentables.
Cela étant, les marchés européens nous semblent assez chers et sensibles à un éventuel choc externe, c’est pourquoi notre vision n’est pas très positive (voir plus bas).
Le marché américain vous semble-t-il plus attractif ?
Nous sommes un peu plus confiants sur le marché américain malgré un début d’année difficile dû aux conditions climatiques de l’hiver et à un fort effet négatif des stocks. Le rebond se perçoit déjà notamment dans l’activité du secteur immobilier, même si celui-ci reste environ 30% en dessous de son rythme moyen sur 50 ans : 1 million de permis de construire ont été enregistrés sur un an alors que la moyenne est à 1,5 millions. La consommation s’avère quant à elle dynamique grâce à l’effet richesse induit par la hausse des marchés actions et au désendettement mené par les ménages américains. Le marché de l’emploi se porte également mieux avec un taux de chômage revenu à son niveau d’avant-crise – 6,3% – et à un début de hausse des salaires. Il reste que le marché américain est lui aussi assez cher.
De plus, un mouvement de hausse salariale trop élevé aurait deux effets négatifs : une réduction des marges des entreprises et une action plus rapide de la FED, qui s’inquièterait d’un retour de l’inflation. Une hausse des taux avant le deuxième trimestre 2015 est peu probable, mais toute reprise trop rapide de l’inflation pourrait provoquer des inquiétudes sur le marché dès la rentrée 2014. Pour l’heure, les taux bas sont maintenus et incitent à privilégier les secteurs à dividendes élevés et stables (utilities, télécoms), ainsi qu’à envisager un retour sur le secteur de la communication digitale (Google, Facebook…), qui a subi une consolidation éxagérée.
Est-il temps d’opérer un retour sur les marchés émergents ?
Sur les marchés émergents, nous privilégions les actions. Sur les 19 dernières années, les marchés actions émergents ont connu six années de flux négatifs (hors 2013). Ces années ont systématiquement été suivies d’une forte surperformance des actions des marchés émergents par rapport aux actions des marchés développés, de 19% en moyenne. La situation économique de ces pays se stabilise : grace aux Banques centrales, les devises se sont stabilisées et l’inflation reste contenue. Les commerces extérieurs s’améliorent, par exemple en Inde et en Indonésie. Une spirale de dévaluation inflationniste semble désormais peu probable.
En outre, le rebond économique qui se confirme aux Etats-Unis devrait favoriser les économies émergentes. Les pays les plus cycliques et exportateurs, comme la Chine ou Taïwan, devraient en bénéficier. Au Brésil, certaines valeurs du domaine de l’assurance offrent d’excellentes perspectives. Le Mexique, de son côté, profite à la fois de la croissance américaine et des réformes mises en place dans le secteur national de l’énergie. A l’inverse, nous nous montrons prudents à l’égard de l’Inde, qui nous semble un marché suracheté, et de la Russie, dont nous nous tenons momentanément éloignés en raisons des tensions politiques avec l’Ukraine.
Comment se présente votre portefeuille modèle ?
A horizon 6-12 mois, notre vision est neutre sur les actions internationales, qui devraient délivrer une performance maximale de 6% en 2014, mais négative sur le marché européen. Elle est neutre sur les Etats-Unis et positive sur le Japon comme sur les émergents.
En termes d’allocation obligataire, nous sommes prudents sur la dette souveraine et investment grade, mais positifs sur le high yield et, dans une moindre mesure, sur la dette émergente, surtout en dollars.
Propos recueillis par Nadège Bénard